Les recherches universitaires sont nombreuses et unanimes : il existe de nombreux freins inconscients à la carrière des femmes. Même en respectant toutes les règles de la bonne élève (afficher de la confiance, prendre des risques, valoriser ses bons coups, développer son réseau), il est aussi possible qu’on ne leur donne tout simplement pas les mêmes opportunités d’avancement.
On ne parle pas ici de discrimination volontaire mais de « préjugés inconscients ». Notre cerveau nous joue des tours quand vient le temps de prendre certaines décisions lors de l’embauche, de l’évaluation du travail ou encore lors de promotions.
Ces préjugés inconscients, qui sont-ils? Nous les avons démystifiés en répondant à 5 questions.
De quoi parle-t-on?
La majorité des décisions que nous prenons sont inconscientes. Du matin au soir, nous avons des habitudes qui nous permettent de poser des actions sans même nous en rendre compte. Pensons à la routine du matin, le trajet pour se rendre au travail, les gestes pour démarrer la journée au bureau, nos habitudes à l’heure du lunch.
Cette faculté intellectuelle est nécessaire. Nous ne pourrions pas consciemment prendre des décisions sur tous les détails de notre quotidien. Ces réflexes nous laissent du temps pour tout ce qui requiert notre attention et une prise de décision consciente.
Mais à d’autres moments, ces raccourcis sont la cause de nos préjugés inconscients. Sans même s’en rendre compte – et voilà un des éléments-clés – on fera des associations rapides et inconscientes mais, dans ces cas, en défaveur de groupes désavantagés (femmes, minorités culturelles, personnes en surpoids, personnes plus âgées).
Ainsi, lorsque vient le temps de combler un poste, notre cerveau est porté à favoriser ce qu’il connait (le fameux fit qu’on cherche lorsqu’on recrute un candidat). Nous voulons engager des gens qui nous ressemblent. Ceci est d’autant plus vrai lorsque le rôle en est un de leadership.
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Les décideurs ont davantage le sentiment de prendre un risque en choisissant une approche qui s’éloigne de la leur. Ils choisiront donc – inconsciemment – ce qui ressemble au leadership qui les rassure. Un leadership qu’ils connaissent. Ces préjugés perpétuent un certain profil de candidature à des postes de direction.
Quelles conséquences ont-ils au cours d’une carrière?
Le fameux plafond de verre est une conséquence directe des préjugés inconscients . Les femmes sont présentes en plus grand nombre à l’université dans de nombreux domaines. Elles ont les mêmes compétences académiques que les hommes. Elles obtiennent généralement sans trop de difficultés des postes de cadre aux premiers échelons, mais plus on monte dans la hiérarchie, moins leur candidature est retenue.
Devant cette réalité, nous pourrions conclure que moins de femmes sont intéressées par des postes de direction. Pourtant, un sondage par l’Effet A (commandé en 2016) indique tout le contraire. Les femmes se disent aussi ambitieuses que les hommes. Elles ont toutefois le sentiment qu’on reconnait moins facilement leurs compétences, qu’elles ont moins d’opportunités d’avancement, que leurs succès passent inaperçus.
Face à ces obstacles dans leur progression professionnelle, les femmes décident de quitter le navire. Ou encore de se mettre elles-mêmes en retrait. Elles renoncent à leurs ambitions. Une perte tant pour ces professionnelles que pour les entreprises. En effet, les études ont démontré qu’une plus grande diversité en entreprise augmente leur performance à tous niveaux (créativité, rentabilité, recherche de solutions).
Qui a des préjugés inconscients?
Nous tous! Femmes et hommes. Il faut comprendre que ces préjugés inconscients ne sont pas l’apanage des hommes envers les femmes. Les femmes ont également ces mêmes biais envers la gente féminine.
Nous avons tous été socialisés, éduqués d’une façon qui nous fait associer certains rôles ou comportements (empathie, leadership, émotivité) à un genre.
Quand on pense à une personne du monde scientifique ou à une autre responsable d’un budget de millions de dollars, un visage masculin apparaît plus naturellement à nos esprits. Même chose quand on cherche la bonne personne pour diriger une équipe de 50 individus.
Dès qu’un poste à pourvoir requiert une charge de responsabilités importante, un budget considérable, des objectifs ambitieux, une candidature féminine apparaîtra comme un choix plus risqué. Vous pouvez le nier, mais les chiffres en font la démonstration.
Si vous croyez que vous êtes exempt de préjugés, prenez quelques minutes pour passer les tests des associations implicites développés par l’Université Harvard. Vous risquez d’être déçu de vos résultats.
De quelle façon se manifestent-ils?
Les biais inconscients se manifestent à toutes les étapes de la carrière, et les exemples que nous pourrions donner sont infinis. En voici quelques-uns.
Au moment de l’embauche, nous avons l’impression d’évaluer les compétences de tous les candidats selon les mêmes standards. Pourtant, dans une étude à Princeton, on avait créé deux CV : l’un où le candidat avait un meilleur parcours scolaire, l’autre avec une plus grande expérience professionnelle. On mettait toujours en opposition une candidature masculine avec une candidature féminine, en alternant le profil assigné à chacun. La candidature retenue était toujours celle de l’homme. C’est un préjugé particulièrement pernicieux, car on utilise des critères en apparence objectif pour justifier nos biais inconscients.
Dans un article récent intitulé Méritocratie mon œil, la journaliste Noémi Mercier résume une autre étude. Les résultats sont renversants, même choquants! On y apprend que des recruteurs préfèrent engager des jeunes femmes ayant de moins bons résultats académiques, car on présume que celles ayant les meilleurs résultats sont « trop confiantes », « hautaines ». Sans même les avoir rencontrées! Seulement à la lecture du CV!
Autre exemple : avec l’arrivée des enfants, on ne percevra pas de la même façon un nouveau parent, selon que ce soit un homme ou une femme. Lorsqu’un homme devient parent, il est perçu comme ayant gagné en maturité. La femme risque davantage d’être vue comme moins disponible, moins engagée envers l’employeur.
Finalement, lors de promotions, on a tendance à évaluer une candidate comme manquant d’expérience, alors qu’on verra chez un candidat son potentiel. Les deux candidats ne sont donc pas évalués selon les mêmes critères.
Comment les éviter dans notre prise de décisions?
D’abord et avant tout, par une prise de conscience. Notre premier réflexe devant ce genre d’informations est de se dire que nous n’avons pas ces préjugés. Facile de croire que les autres pensent de la sorte, mais pas nous.
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Dans un dossier sur le sujet, La Presse a fait passer le test d’associations implicites à plusieurs personnalités publiques (Alexandre Taillefer, Dominique Anglade, Amir Khadir, Françoise David). Conclusion : nous avons tous des préjugés!
Une fois cette prise de conscience faite, nous sommes davantage à même de ralentir notre prise de décisions dans les moments où le risque de faire un choix biaisé se profile : embauches, évaluations, promotions, réceptivité des idées de tous en réunion. Il faut savoir qu’il s’agit là des principaux moments où les biais inconscients se manifestent.
Savoir remettre en question notre réaction spontanée à retenir un candidat plutôt qu’un autre. Se questionner sur les motifs réels de nos doutes à promouvoir une candidature parce qu’on croit qu’elle n’a pas « toutes les compétences ». Donner davantage de temps de parole à une collègue plus discrète. Voilà autant de gestes pour cesser de nourrir nos biais inconscients.
Tenter de diminuer nos biais est un défi de tous les instants qui demande d’être constamment alerte aux motifs qui sous-tendent nos décisions. Bien sûr, nous échapperons parfois la balle, mais nous pouvons aussi permettre à de nombreuses femmes de fracasser le plafond de verre par notre volonté bien réelle de leur donner une chance de montrer leur leadership, leurs compétences, leur ambition.