La veille de la remise de ce billet, j’ai vécu une expérience troublante qui m’a fait jeter à la poubelle l’essentiel de mon texte. Une expérience qui m’a rappelé que malgré nos convictions, que l’on souhaite solides, le petit démon de la « perfectionnite » n’est jamais bien loin. Et qu’assumer son authenticité est un travail quotidien.
Laissez-moi vous raconter…
Mon poste à la direction générale du Y des femmes de Montréal me permet de vivre une foule d’expériences uniques. La dernière en lice? Une invitation à prononcer un discours lors d’une cérémonie spéciale de citoyenneté face à 300 nouveaux citoyens canadiens et un certain nombre de personnes dont le titre commence par « honorable ». Touchée qu’on ait pensé à moi, émue à la perspective de vivre ce moment marquant, je m’empresse de dire oui, de préparer un discours avec le soutien de mon équipe et d’inscrire l’événement à mon agenda.
Le jour J, j’en parle avec enthousiasme à ma famille au petit-déjeuner, à mes collègues lors d’une session de travail, je choisis ma tenue, je relis mes notes, et à l’heure prévue, je fais un tour devant le miroir pour m’assurer que tout est en ordre. Non, je n’avais pas de dentifrice sur mon chemisier (ça m’arrive au moins une fois par semaine!) ni de bavure de mascara. Je me préparais tout simplement à quitter le bureau à l’heure… DU DÉBUT DE LA CÉRÉMONIE!
Personne autour de moi n’a fait d’erreur. L’horaire n’avait pas été modifié à la dernière minute. Le rendez-vous avait été correctement inscrit dans mon calendrier. Le déroulement du scénario m’avait été partagé dans des délais plus que raisonnables. Tout le monde avait fait ce qu’il fallait. Mais moi… j’avais enregistré la mauvaise heure dans un recoin de mon cerveau. Aussi plate et simple (et gênant) que ça.
Mon premier réflexe, après m’être confondu en excuses pendant de longues minutes, a été de me taper sur la tête, et pas à peu près. Les insultes et les gros mots y sont tous passés. Ç’a duré un moment… jusqu’à ce que je me rappelle ce texte, en chantier. J’ai été choquée par mon incohérence.
Depuis quelques années maintenant, j’articule mon discours autour du poison qu’est la « perfectionnite ». Je répète à toutes les femmes qui m’entourent qu’il est essentiel de se détacher des modèles de réussite intimidants dont on nous inonde partout et en tout temps. J’aime rappeler que ces images de femmes impeccables qui n’ont jamais un cheveu de travers, un faux pli dans le pantalon, un brin de persil entre les dents ne servent qu’à nous intimider, socialement parlant. Que réussir en demeurant authentique, proche de son essence et de ses valeurs, est un acte de résistance qui demande du courage mais qui produit de telles retombées positives.
Or, pour adhérer pleinement à cette théorie, il faut faire preuve d’une grande dose d’indulgence envers soi. Il faut être capable de dire « je ne sais pas, je vais vous revenir ». Il faut accepter de demander de l’aide. Il faut oser se prononcer sur une situation sans en avoir saisi tous les contours, à défaut de quoi, on risque de rater le bateau. Il faut admettre que pendant que l’on peaufine jusqu’à plus soif une théorie pour la livrer dans sa version la plus aboutie, on va permettre, dans la foulée, à un, deux ou cinq hommes de prendre la parole à notre place.
Il faut savoir reconnaître que notre désir d’en mettre plein la vue risque de nous faire rater des occasions et que les occasions, non, elles ne repassent pas tout le temps dans la vie.
Bref, j’ai fait de l’authenticité et de la chasse à la perfection l’un de mes chevaux de bataille personnels parce que je crois profondément que c’est le chemin le plus sain sur lequel avancer. Je m’érige contre les diktats, questionne les obligations, tente de secouer le statu quo, avec les méthodes et les outils qui sont les miens. Surtout, je vise la cohérence entre mes actions et mon propos. Je demande de l’aide plus souvent et plus facilement qu’il y a quelques années. Je tourne les coins ronds quand c’est possible. Je fais des blagues même dans des rencontres sérieuses. J’admets la fatigue, le stress, les tensions. En général. Et le plus souvent possible, quand je fais une erreur, je pousse un grand soupir, je m’excuse auprès des personnes touchées, je me donne une petite tape dans le dos et je regarde en avant.
Mais à la veille de remettre ce billet, je n’ai pas appliqué ma propre médecine. Plutôt que de me parler avec douceur, de chercher à comprendre sans m’accuser de tous les maux de la terre, je me suis autoflagellée sans ménagement. Pourtant, d’un point de vue purement objectif, il n’est pas si étonnant que j’ai commis une telle erreur. Mon agenda professionnel est rempli à craquer, je dis oui à mille projets, portée par mon enthousiasme débordant, mes obligations familiales sont très nombreuses ces jours-ci, les temps d’arrêt sont rares. Je jongle avec plusieurs balles, j’en ai échappé une. Sans grave conséquence, sinon une blessure d’ego.
Sauf que le petit démon de la « perfectionnite » est prompt à se réinstaller sur notre épaule pour nous souffler ses répliques cinglantes. Prompt à nous rappeler qu’il faudrait vraiment travailler plus fort pour être à la hauteur… Et même si je souhaite lui clouer le bec une fois pour toutes pour embrasser l’authenticité de tout mon être, force est d’admettre que la route est longue et le travail, ardu. Le travail d’une vie, quoi.
PS : En passant, le responsable de la cérémonie de citoyenneté a été fabuleux et m’a offert de prononcer mon allocution lors de la séance suivante, dès le lendemain. Une belle démonstration s’il en est que notre entourage est souvent beaucoup plus indulgent à notre égard que nous le sommes nous-mêmes.