Biais inconscients

Cessons de regarder la pointe de l’iceberg!

8 mars 2018
Rédaction: Jannick Bouthillette

C’est bien connu, l’égalité au Canada est atteinte. On peut placer un petit crochet dans cette case et passer à un autre appel. On ne va pas se laisser distraire par quelques chiffres moins élogieux…

Les femmes représentent 5% des PDG et 17% de la haute direction. Elles gagnent environ 0,80$ pour le dollar gagné par leurs collègues masculins. Elles se retrouvent plus facilement en situation précaire à la suite d’une séparation.

D’accord! Mais bon… vous connaissez l’adage : « Quand on veut, on peut! »

Est-ce que les femmes veulent suffisamment monter les échelons? On ne dirait pas! Comment expliquer autrement les freins à l’avancement de leur carrière que par leur fameux syndrome de l’imposteur, leur manque de confiance, le réseau moins développé, leur besoin de concilier à la perfection vie professionnelle et familiale?

Mesdames, vous n’avez qu’à vouloir un peu plus. À garder la main levée alors même qu’on vous a dit qu’on ne prenait pas d’autres questions, à parler plus fort, à mettre votre point sur la table (mais sans trop d’agressivité quand même), et le tour sera joué. Vous ferez monter les statistiques du Canada en un rien de temps.

Une question de volonté?

À partir de quel moment avez-vous commencé à sentir l’ironie de mon propos? Ou avez-vous plutôt senti votre pression monter devant ces solutions bien simples pour régler un problème bien plus complexe? Quand arrêterons-nous de regarder la pointe de l’iceberg pour trouver des solutions qui se trouvent dans les profondeurs de la volonté des dirigeants?

Pour expliquer leur avancement à pas tortue amputée des pattes arrières, on montrera du doigt ce que les femmes font de trop ou de pas assez dans leur milieu de travail. On parlera rarement de l’incapacité des milieux de travail de se remettre en question. Encore plus rarement des biais inconscients à l’égard des collègues féminines. Et jamais du manque de volonté RÉELLE des employeurs face à des objectifs clairs et circonscrits dans le temps pour changer les statistiques.

Les biais inconscients, vous connaissez? C’est encore aujourd’hui, la principale raison pour laquelle l’avancement professionnel des femmes stagne. Ils sont nombreux, ils sont partout et – ce qu’il y a de pire – ils sont inconscients!

Vous voulez des exemples…

Assurance ou arrongance?

Lors d’une embauche ou d’une promotion, on fait souvent une lecture bien différente des compétences des hommes et des femmes. On cherche un candidat qui démontre un fort leadership, de l’assurance. Un candidat qui affirme plutôt que de supposer. Maintenant, imaginez que ce candidat est un homme. On est impressionné par son aplomb. On croit qu’il fera progresser l’équipe.

Et si ce même aplomb se retrouvait chez une femme. Ce qui est perçu comme de l’assurance chez l’un peut rapidement être vu comme de l’arrogance chez l’autre. Et on s’entend que de l’arrogance, ce n’est jamais bienvenue. Alors les femmes ont compris depuis longtemps qu’il vaut mieux modeler leur comportement pour qu’il soit plus aimable, plus conciliant. Finalement, on préférera bien souvent l’aplomb masculin à l’arrogance ou à l’amabilité féminine.

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Parentalité à 2 vitesses

La parentalité amène également des perceptions différentes selon que l’employé soit un père ou une mère. Encore aujourd’hui, il y a un préjugé tenace à l’égard d’une femme qui vient d’avoir un enfant. On s’attend à ce qu’elle recentre ses priorités autour de son rôle de mère au détriment de sa carrière.

Plusieurs femmes souhaitant qu’on les considère pour de l’avancement m’ont dit qu’elles évitaient de parler de leurs enfants au travail. La crainte d’être perçue comme moins ambitieuse les forçait à contrôler leur image. Cette présomption n’existe pas pour les collègues masculins. Au contraire, savoir qu’un homme a un enfant est souvent perçu comme lui donnant de la maturité, le rendant plus performant.

Prise de parole

Les interactions en réunion sont un autre bel exemple où les préjugés s’en donnent à cœur joie. Il a été démontré que les hommes interrompent 33% plus souvent les femmes lors de réunion. L’explication est simple : pour les hommes, la prise de parole est un des meilleurs moyens de prendre du pouvoir. Les femmes ont moins souvent cet objectif dans leurs communications. Elles le font davantage pour établir des liens, créer des connexions. Or, ce geste bien inconscient des hommes a un impact sur l’influence que gagne les femmes en milieu de travail. Celui qui interrompt arrive à convaincre plus facilement que son point de vue est le bon.

À travers ces trois exemples – il en existe de nombreux autres – on comprend aisément que les femmes naviguent dans une mer remplie d’écueils. Alors même qu’on leur dit qu’elles devraient changer leur comportement pour avancer, on ferme les yeux sur les causes profondes de l’absence d’avancement des femmes.

Mais comme ces biais sont inconscients, comment changer consciemment les comportements?

Volonté des dirigeants

Il faut cesser de montrer le manque de volonté des femmes à gravir les échelons et braquer les projecteurs sur la volonté réelle des dirigeants d’entreprises (publiques ou privées) de changer les pratiques.

Pour qu’un changement réel s’opère, il faut une volonté quotidienne. Pour que davantage de femmes occupent les postes de direction et surtout, de haute direction, les patrons devront mettre ce dossier bien en haut de leur pile à eux. Pas des ressources humaines. Pas des consultants externes. À eux.

Dans une entrevue donnée à L’actualité, Pierre Laporte, président de Deloitte Québec, a fait une déclaration courageuse et lucide sur la progression des femmes dans son cabinet :

Je suis obligé de conclure que ça ne fonctionne pas et que je fais partie du problème, parce que je suis associé depuis 1997. Quand on parle de « biais » inconscients, ça a du sens : je n’ai pas pour objectif d’empêcher une femme de progresser, au contraire! Mais je suis convaincu qu’à cause de certains de mes comportements dans le passé, une femme a pris la décision de quitter l’entreprise, parce que je ne l’ai pas appuyée suffisamment, je n’ai pas été son sponsor, je l’ai mal « coachée ». Les femmes ne sentent pas que l’organisation les soutient vraiment.

La déclaration de M. Laporte est admirable à plusieurs égards. Rare sont les chefs de direction qui osent dire que, bien malgré eux, ils font partie du problème. Mais surtout, il amène d’autres collègues à cette prise de conscience. Les collègues de son cabinet, mais aussi les patrons d’autres cabinets.

Lorsqu’un grand nombre de dirigeants – hommes, il va sans dire – plongeront la tête dans les profondeurs de l’océan pour voir le problème de fond, on verra alors moins de femmes quitter le navire.