Stratégies de carrière

Femme dans un domaine majoritairement masculin

7 décembre 2017
Rédaction: Claire-Marine Beha

 Murale réalisée par Emmanuel Jarus en août 2017 dans le cadre du Festival Up Here

Être une femme qui œuvre dans un domaine majoritairement masculin, qu’est-ce que cela signifie? Les situations sont multiples et les enjeux complexes, mais pour nourrir notre réflexion, nous avons posé la question à deux femmes, Valérye Daviault qui est cheffe de projet dans le domaine de la construction à Montréal et la pompière cheffe de caserne française Karine Salavin.

La première chose à laquelle on pense lorsqu’on évoque les femmes travaillant dans des industries typiquement masculines, ce sont les enjeux, les obstacles. Quelles sont ces difficultés rencontrées sur le terrain? Karine Salavin nous explique d’emblée que les femmes se mettent souvent une pression plus importante dans ces situations-là. « Il nous faut sortir du lot et montrer qu’on est à notre place , confie-t-elle. J’ai personnellement toujours du en faire plus pour être sûre d’être reconnue et donc d’être un élément important. »

Valérye Daviault abonde en ce sens en expliquant qu’elle sentait au départ devoir travailler fort sa crédibilité pour ne pas être sous-estimée. Elle était non seulement une femme, mais surtout une jeune femme fraîchement diplômée. Si cela peut être inévitablement éprouvant, la cheffe de projet a développé de cette manière sa rigueur et ses liens de confiance. « J’effectuais toutes mes recherches pour m’assurer de m’en aller du bon bord du chemin afin qu’on ne remette pas en doute mes compétences, explique-t-elle. Ça a vraiment aidé, car les gens se rendaient compte que lorsque je donnais une opinion ou prenais une décision, ils savaient que c’était mûrement réfléchi et légitime. »

Plus de sexisme

Parmi les problèmes majeurs, on doit malheureusement montrer du doigt les nombreuses situations de sexisme, voire de harcèlement dont les femmes sont davantage victime dans ces milieux. « Mon ancien patron, quand je passais le voir dans son bureau, ne pouvait s’empêcher de me raconter une blague sexiste ou à caractère sexuelle, sans parler de lorsqu’il commentait la taille des jupes lors des sorties », déplore la pompière.

Valérye Daviault a également parfois vent de comportements irrespectueux qui se déroulent lorsque les femmes travaillent directement sur les chantiers. Des sifflements, des propos, des gestes déplacés. Parfois, sans faire preuve de misogynie flagrante ni même consciente, les attitudes de certains collègues se situent dans des zones grises résolument paternalistes. « Quand les femmes ont du matériel dans les mains, les gars essayent parfois de les aider. Ce n’est pas négatif, mais pour une femme c’est comme si elles n’étaient pas assez fortes pour le faire, analyse-t-elle. Oui c’est gentil d’offrir son aide, mais de l’autre côté si ça avait été un homme, les gars n’auraient pas aidé la personne directement. »

Les femmes moins fortes que les gars…

Parlons-en justement de cette fameuse croyance : la force physique! Les femmes sont-elles plus faibles physiquement que les hommes? Pour Valérye, homme ou femme, cela ne fait aucune différence. « Qui est-on pour juger? Des hommes qui pèsent 110 livres et qui ont de la misère à traîner leur boite à lunch, on en connaît, mais on n’en parle pas! Il faut laisser les femmes rentrer dans le métier et si elles ont les compétences, elles les ont. Si elles ne les ont pas, ça va s’arrêter de soi-même, comme pour les hommes! »

Elle appuie son propos en précisant qu’aujourd’hui avec les chariots et les nombreux systèmes mécaniques qui aident les travailleuses et travailleurs de la construction, il ne s’agit plus de tout porter sur son épaule. « La construction c’est avant tout un domaine de passion, c’est aussi difficile physiquement que mentalement, car tout doit aller très vite. Si tu aimes la construction, go! Mais on ne veut pas qu’une femme qui aime son métier quitte car elle n’est plus capable de vivre des situations malaisantes. »

Karine affirme à peu près la même chose de son côté et rappelle que pour être pompière il faut bien évidemment être compétente physiquement, mais également techniquement et psychologiquement car les interventions requièrent autant d’empathie envers les citoyens que de capacité de secours ou encore une condition de santé excellente. Des aptitudes diverses qui selon elle, exigent que les casernes soient mixtes pour une plus grande diversité des caractères et qualités. « J’ai toujours revendiqué qu’une femme a toute sa place dans une caserne ou dans un équipage car elle amène une sensibilité humaine différente », illustre-t-elle.

Petit aparté, Karine travaille et est cheffe de caserne dans les Alpes, en France. Malheureusement, chez nous, c’est présentement une véritable pénurie de pompières à laquelle nous assistons. Selon La Presse en octobre dernier, elles étaient 29 sur un total de 2381 pompiers au Service de sécurité incendie de Montréal.

Se regrouper pour avancer

Dans le domaine de la construction au Québec, la réalité semble avoir évolué pour le mieux ces dernières années. Les femmes sont de plus en plus nombreuses et elles se regroupent afin d’aspirer à toujours plus de progrès. Valérye est d’ailleurs présidente des Elles de la construction, l’association des femmes en construction. « Le réseautage avec les Elles m’a beaucoup aidé. Quand on vit des situations difficiles on sait qu’il y a des femmes qui ont réussi à passer à travers ça, on se créé des modèles et on peut se référer à elles , indique Valérye.

Notre slogan c’est d’ailleurs “Une Elle de la construction n’est jamais seule”. » En effet, l’association tente d’être la plus proactive possible en discutant des enjeux, en cherchant des solutions, en sensibilisant le public mais aussi en invitant toutes les nouvelles personnes qui rentrent dans le milieu à se réunir.

Si un changement de paradigme est encore loin d’être atteint, ces femmes refusent les impasses et encore plus de freiner leurs ambitions. Des pistes de solutions, il y en a énormément. « Je dirais que tout part de l’entraide, pense Valérye Daviault. Si une femme est victime de harcèlement psychologique sur un chantier, c’est autant à la femme d’en prendre note qu’à son collègue masculin. Parce que si c’est deux personnes ensemble qui posent une plainte, elles auront du poids. Le collègue doit appuyer la femme dans son discours et dire oui c’est arrivé et c’est inacceptable! »

S’imposer pour les prochaines

De plus, l’éducation vient jouer un rôle primordial dans nos mentalités collectives . Pour cesser de nommer les métiers comme ceux de la construction, de pompier, de police, etc., des « métiers d’hommes » encore au XXIe siècle, une déconstruction des rôles genrés est nécessaire et permettrait d’avancer plus rapidement vers l’égalité. « Si on apprend à nos enfants que les femmes doivent être à la maison et les hommes sur le chantier, c’est certain que ça va continuer à nourrir les stéréotype de genres », déplore Valérye.

Karine souhaite aussi que sa « profession évolue avec la société ». Questionnées sur leur quotidien professionnel, les deux femmes aiment résolument leur profession respective et c’est sans surprise qu’elles trouvent important d’encourager d’autres femmes à les rejoindre. Comme le dit la cheffe de caserne, oui, ce sont des milieux où demeureront des « machos », mais oser maintenant c’est permettre aux ambitions des futures professionnelles dans ces domaines d’exister plus facilement et plus sereinement demain.