Vous êtes en entrevue d’embauche pour un poste que vous espérez décrocher. Vous avez les compétences et l’expérience recherchées par l’employeur, vous vous sentez calme, vous trouvez les bons mots pour vous vendre. Bref, tout va pour le mieux. Puis, on vous demande quel est votre salaire actuel?
La question vous déconcerte, même si vous l’aviez anticipée. Vous n’avez que quelques secondes pour peser le pour et le contre et décider de révéler ou non cette information.
Répondrez-vous à l’employeur et de quelle manière?
Bien que répandue, la pratique est parfois controversée, dans la mesure où elle peut déséquilibrer la négociation entre le candidat et l’employeur. Mélina Roy et Christine Corbeil, toutes deux consultantes en ressources humaines et membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines du Québec (CRHA), nous aident à faire le point sur la question.
Divulguer ou non son salaire actuel
D’entrée de jeu, il faut savoir que la question peut être posée en entrevue et que le candidat peut refuser d’y répondre. Il reviendra toujours à l’employeur potentiel de justifier que cette information était pertinente et nécessaire à l’étude des candidatures. Mais la démarche n’est pas anodine pour autant…
Même si la question n’est pas abordée dans le but de vous nuire et que l’objectif est d’abord de déterminer si l’entreprise peut satisfaire à vos attentes, l’information sur le salaire actuel offre un avantage à l’employeur. Par exemple, si votre salaire actuel est inférieur au marché, l’employeur pourrait être tenté de négocier une rémunération moindre afin de réaliser une économie sur sa masse salariale.
Cette question d’entrevue sur le salaire actuel, qui semble banale à première vue, pourrait contribuer à perpétuer des écarts salariaux au sein de la société. Notamment auprès de certains groupes d’individus tels que les femmes, les personnes handicapées, les autochtones et les membres de minorités visibles.
« Le fait d’établir le salaire des nouveaux employés en se basant sur leur salaire actuel pourrait défavoriser les personnes qui ont, pour différentes raisons, un salaire plus bas que le marché pour ce même emploi. Qu’elle soit menée de façon intentionnelle ou pas, cette pratique favorise un système qui pourrait reconduire les écarts salariaux à perpétuité, puisque ces mêmes individus se retrouveraient sans cesse avec un salaire plus bas que celui du marché », explique Christine Corbeil, CRHA.
Mais alors, peut-on divulguer son salaire en entrevue sans freiner sa progression salariale? Les deux consultantes en ressources humaines en sont convaincues. Tout est dans la préparation de son argumentation.
« Il faut penser la recherche d’emploi comme une relation d’affaires », souligne Mélina Roy, CRHA. En entrevue, on doit donc présenter les faits et laisser de côté les émotions. « C’est le marché de l’offre et de la demande, explique Christine Corbeil. L’employeur a un besoin à combler et le candidat a quelque chose à lui proposer. »
Une question légitime?
Dans une vision pragmatique, la question peut avoir sa raison d’être. « Connaître le salaire actuel d’un candidat permet à l’employeur de déterminer s’il peut ou non satisfaire aux attentes du postulant, et donc de poursuivre ou non le processus de recrutement avec cette personne, note Mélina Roy. Dans la plupart des cas, l’employeur doit s’assurer également de respecter son équité salariale interne. » La consultante précise cependant que la question du salaire actuel, si elle est abordée, devrait l’être lors de l’entrevue téléphonique afin d’éviter une perte de temps de part et d’autre.
Mais voilà que, de nos jours, la population est mieux informée et elle se montre de plus en plus critique envers les pratiques qu’elle considère comme inadéquates. « Les professionnels en ressources humaines, ainsi que tous les employeurs, ont un rôle important à jouer afin de faire évoluer les pratiques de gestion vers des approches qui soient en accord avec les valeurs de notre société, telles que la justice et l’inclusion. Le lien de confiance s’établit d’abord par de saines pratiques de gestion dès l’embauche », explique Christine Corbeil.
Les candidats partagent maintenant plusieurs informations via les réseaux sociaux concernant les employeurs actuels et potentiels. Dans ces conditions, le statu quo est-il une option?
Une question désuète?
« Les candidats n’hésitent pas à remettre en question la réelle valeur ajoutée, pour eux-mêmes, de divulguer leur salaire actuel en entrevue, la plupart ayant rapidement compris le déséquilibre créé par leur réponse sur leur pouvoir de négociation, souligne Christine Corbeil. Certains percevront la pratique d’un mauvais œil, affectant au passage la marque de l’employeur et le lien de confiance. »
Dès lors, quelle sera la réaction du candidat embauché lorsqu’il découvrira que sa valeur sur le marché est nettement plus élevée ou que son prédécesseur et ses collègues sont mieux rémunérés? Sur cette question, la consultante est d’avis que « la question d’entrevue portant sur le salaire actuel du candidat semble désuète et devrait disparaître des pratiques de recrutement pour laisser place à une question d’entrevue neutre portant sur ses attentes salariales ».
Les employeurs de choix se renouvellent constamment, ils font évoluer leurs pratiques dans le respect de leurs valeurs et de celles de la société.
Une bonne façon de répondre à la question « Quel est votre salaire actuel? » est de présenter à l’employeur vos attentes salariales. Proposez idéalement une échelle salariale (ex. : entre 45 000$ et 50 000$), que vous déterminerez en fonction de certains facteurs : une rémunération globale et votre valeur professionnelle.
Rémunération globale
« À la question des attentes salariales, la personne devrait avoir le réflexe de répondre en terme de rémunération globale et non par un montant incluant uniquement son salaire », mentionne Mélina Roy. Un candidat doit être en mesure de chiffrer toutes les rémunérations qu’il reçoit :
- rémunération directe : le salaire, les primes, les commissions;
- rémunération indirecte : les avantages sociaux, les cotisations à un REER collectif, les vacances, les conditions de travail;
- tous les autres avantages qu’offre l’emploi, mais qui ne sont généralement pas monnayables. Par exemple, une place de stationnement, une voiture ou un cellulaire fournis.
Une fois votre rémunération globale établie, comparez-la aux salaires moyens offerts pour un poste similaire à celui que vous convoitez. « Pour ce faire, n’hésitez pas à consulter les échelles salariales selon le secteur et l’industrie recherchés, celles-ci sont facilement accessibles via Internet », nous rappelle Mélina Roy.
Valeur professionnelle et unicité
Faites également appel à un recruteur de confiance et aux membres de votre réseau pour vous aider à déterminer votre valeur et établir ce qui vous différencie des autres candidats. « Soyez en mesure d’appuyer sur des faits vos atouts et votre valeur ajoutée en lien avec les attentes du poste et de votre industrie », indique Mélina Roy.
Si vous :
- accumulez plusieurs années d’expérience pour le poste auquel vous aspirez;
- possédez des compétences clés pour l’employeur;
- avez récemment complété une formation spécialisée dans votre domaine.
Ce sont là autant de faits qui consolideront votre argumentaire auprès de l’entreprise et qui vous aideront à décrocher un salaire à la hauteur de vos attentes.
Alors, doit-on divulguer son salaire actuel en entrevue d’embauche?
Chez Profession’ELLE, nous vous le déconseillons fortement. Vous devriez rediriger la discussion vers vos attentes salariales. Mais si vous ne vous sentez pas à l’aise d’éviter de répondre à cette question, assurez-vous d’appuyer vos réponses sur un argumentaire solide. Et, souvenez-vous : il n’y a pas seulement le salaire à considérer!