Négociation

Mesdames, négocions!

26 janvier 2017
Rédaction: Sylvie Bencsics

Qui ne demande rien n’a rien! Cet adage, on nous le répète ad nauseam depuis des lustres. Il ne comporte aucune nuance sémantique indiquant qu’il s’adresse aux hommes plus qu’aux femmes. Pourtant, dans leur vie professionnelle, les femmes ont tendance à croire qu’elles n’ont pas à demander. Leur rendement ou les résultats obtenus au travail parlent d’eux-mêmes et leur vaudront automatiquement une augmentation ou une promotion au moment opportun.

Lorsque Linda C. Babcock, coauteure avec Sarah Laschever des livres à succès sur le leadership féminin Women don’t ask et Ask for it, demande à son doyen pourquoi tant de diplômés enseignaient leurs propres cours alors que la plupart des diplômées étaient reléguées à des rôles d’assistantes, ce dernier lui a tout bonnement répondu : « Les hommes le demandent davantage. Les femmes ne le demandent tout simplement pas. »

Aurélie Lanctôt, jeune chroniqueuse, blogueuse et auteure féministe, parle de « scrupules typiquement féminins : attribuer les succès au hasard et les échecs à des tares personnelles ». L’Histoire prouve et prouvera encore bien longtemps que rien ne saurait être plus faux. Demandez-le à toutes celles à qui une promotion, qu’elles croyaient leur revenir simplement de droit, leur est passée sous le nez…

Des clichés et des stéréotypes qui ont la vie dure

Comme le fait remarquer à juste titre Sheryl Sandberg dans son livre En avant toutes – Les femmes, le travail et le pouvoir, ces dernières sont souvent leurs pires ennemies, surtout vis-à-vis elles-mêmes. Influencées par leur éducation et les modèles féminins traditionnels, nombre de femmes ont peur de déplaire, cherchent davantage le consensus, ne veulent pas être qualifiées de capricieuses. Ainsi portées par ces stéréotypes, elles dressent leurs propres barrières.

Certains clichés ont aussi la vie dure. Par exemple, une femme qui s’affirme et prend les moyens pour être rémunérée à sa juste valeur ou faire avancer sa carrière passe encore souvent aujourd’hui pour agressive et dominante — des traits de personnalité pourtant admirés chez l’homme dans les mêmes circonstances.

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Ne passons surtout pas sous silence le sempiternel sentiment de culpabilité des professionnelles/mères de famille : culpabilité de ne pas rester au bureau passé 17h, de devoir s’absenter pour soigner son chérubin malade, de bénéficier d’un horaire flexible. Convaincues que leur employeur leur fait déjà beaucoup de « concessions », elles estiment qu’il serait abusif de demander davantage. C’est ce que Sheryl Sandberg appelle la pénalité à la maternité.

Or, en dépit de ces idées toutes faites, un fait s’avère : négocier n’est pas affaire de genre ou de contexte socioculturel. Tout est plutôt dans le style et la manière.

Négocier comme si c’était pour d’autres

Malgré la croyance populaire, les femmes sont bel et bien d’excellentes négociatrices. En voilà une bonne nouvelle mesdames!

Dans un article intitulé La négociation : une question de genre?, publié en 2004, les chercheuses Deborah M. Kolb et Linda L. Putnam le confirment : « l’intérêt pour les relations interpersonnelles, l’empathie, la capacité de gérer tout à la fois conflits et collaboration sont considérés comme des avantages dans le cadre de certaines négociations. » Elles ajoutent que « les caractéristiques dites “féminines”, telles que l’empathie et l’écoute active, sont préconisées dans ce type de négociation ». De quoi remettre bien des pendules à l’heure!

En outre, les recherches ont prouvé que les femmes excellent également lorsqu’il s’agit de négocier pour les autres — en l’occurrence, pour le compte de l’employeur ou d’un client.

Alors, puisque nous nous illustrons dans l’art de négocier pour les autres, pourquoi ne pas appliquer ce talent à nos propres négociations professionnelles?

Quelques trucs pour négocier de main de maître

D’abord et avant tout, on s’inspire des grands principes de la négociation raisonnée, expliqués dans Comment réussir une négociation, le livre à succès de Roger Fisher et William Ury. Cette méthode permet de mettre toutes les chances de son côté pour obtenir ce que l’on demande ou, à tout le moins, une entente mutuellement satisfaisante. Elle préconise de se concentrer sur l’objet de la négociation et non sur les personnes avec qui l’on négocie (vous et votre patron, par exemple), sur les intérêts communs, sur des choix de solutions et sur des critères objectifs.

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Ensuite, et tous les ouvrages traitant de négociation le disent d’une façon ou d’une autre : la clé d’une bonne négociation est d’abord et avant tout une bonne préparation . Jean Poitras, auteur du livre Psychologie de la négociation, insiste sur l’importance « d’établir une liste reprenant l’ensemble des points clés [à] aborder lors d’une négociation ». Qu’il s’agisse de négocier son salaire, son horaire de travail, une promotion, qu’importe, il faut savoir ce que l’on veut, et pourquoi on le demande.

Connaitre sa valeur

Première étape de cette préparation : déterminer sa valeur, tant monétaire que professionnelle. En d’autres mots, et pour reprendre les paroles de Sheryl Sandberg, les femmes doivent apprendre à « se considérer comme un actif » . On s’informe donc sur les salaires comparables dans notre domaine professionnel (auprès de collègues, sur les sites de recherche d’emploi et chez les recruteurs, dans les données publiées par notre ordre professionnel); en somme, on établit notre valeur marchande. On monte aussi un dossier sur notre apport à l’entreprise (gain d’un gros client, conclusion d’une importante transaction, mise sur pied d’un projet mobilisateur) — bref, on assume nos bons coups.

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Maintenant que l’on connaît sa valeur, on se prémunit contre les mauvaises surprises en trouvant ce que Roger Fisher et William Ury appellent la MESORE, c’est-à-dire la meilleure solution de rechange. Partant du fait que si on négocie, « c’est pour obtenir un résultat supérieur à celui qu’on pourrait escompter sans négociation », trouver sa MESORE permet « d’envisager toutes sortes de variantes et de possibilités ». En d’autres mots, avant même d’entamer les négociations, les auteurs préconisent l’importance d’avoir un plan d’action dans sa manche au cas où les négociations achopperaient. Accepter le statu quo? Aller voir ailleurs? Revenir à la charge avec de nouveaux arguments? Qu’importe, selon messieurs Fisher et Ury, ne pas le prévoir équivaut à négocier les yeux fermés.

Quoi qu’il en soit, et les études tendent à le démontrer de plus en plus, une négociation est avant tout un processus relationnel . Bien que la forme puisse différer selon que l’on porte le tailleur ou la cravate, le fond, lui, demeure : trouver un terrain d’entente mutuellement convenable.

Négocier, voilà la clé de la réussite professionnelle mesdames. Rien ne nous oblige à nous contenter des seconds rôles. Demandons à enseigner nos propres cours.