Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, est un modèle en politique québécoise. Amoureuse de sa région, c’est son respect, sa proximité avec ses concitoyens ainsi que sa grande simplicité qui en font une cheffe si populaire. Malgré un bagage scolaire et professionnel impressionnant, elle a longtemps remis en cause ses capacités. C’est dans le regard et les encouragements des autres qu’elle a trouvé l’audace de se présenter à la mairie. Portrait d’une femme qui a su transcender ses doutes pour arriver au sommet.
Bien qu’armée d’un bac en sciences politiques, si on lui avait affirmé un jour qu’elle se lancerait en politique, elle se serait esclaffée. Exilée à Toronto quelques années, son attachement pour le Québec l’a poussée à rentrer au bercail afin de compléter une maîtrise en aménagement du territoire et du développement régional. À sa grande surprise, c’est à Chibougamau qu’on lui a offert son premier contrat. Ce qui ne devait être qu’un court séjour s’est transformé en résidence permanente puisque 26 ans plus tard, elle y habite toujours. D’abord, parce qu’elle a eu la chance d’occuper des emplois stimulants et intéressants qui lui ont permis de se démarquer sur le plan professionnel, mais aussi — surtout — parce qu’elle a eu un véritable coup de foudre pour cette région unique où tout demeurait à bâtir. Une ville avec une communauté riche. Une ville où l’engagement social et bénévole fait partie intégrante de la vie des citoyens.
Madame Cyr a d’ailleurs pris part activement au mouvement bénévole de sa collectivité pendant plus d’une quinzaine d’années (hôpitaux, télé communautaire, maisons d’hébergement pour femmes violentées, etc.). Cette expérience lui a permis de se faire connaître « sur le terrain », professionnellement et comme citoyenne. Sans même le réaliser, elle se créait ainsi un vaste réseau composé de gens qui allaient beaucoup l’aider dans son périple à venir.
Transcender les doutes
Celle qui a d’abord œuvré comme conseillère municipale, élue par acclamation en 2005, a été fortement incitée par ses concitoyens à poser sa candidature à la mairie. Malgré ses compétences plus qu’évidentes, elle continuait de douter et de se demander : « Pourquoi moi? » Elle a même, pendant six mois, tenté de persuader son collègue de se présenter. Ce qui l’a convaincue? La confiance des autres en ses capacités et ses qualités.
Dès sa décision prise, l’incertitude s’est toutefois dissipée. À la suite d’une préparation minutieuse, où rien n’a été laissé au hasard, elle annonçait enfin sa candidature, en septembre 2009. Elle a alors véritablement pris conscience de l’ampleur et de la force du réseau qu’elle s’était constitué au fil des ans. Ce précieux réseau qui lui a permis de se former une équipe solide à l’occasion de sa première croisade électorale.
Une approche qui vise à rassembler
On peut qualifier sa victoire de fulgurante et sans équivoque. Madame Cyr a obtenu 62% des votes répartis entre trois candidats. Malgré cette impressionnante poussée dans le dos, les six premiers mois de son mandat lui ont parfois donné le vertige et nécessité certains ajustements. Son rôle de leader, de personne-ressource, l’a grandement déstabilisée. Or, l’appui inconditionnel de ses citoyens lui a permis de surpasser ses hésitations et d’acquérir une assurance et une confiance en elle inébranlables.
D’ailleurs, la politique de Madame Cyr en est une de proximité. Elle travaille POUR les citoyens et se fait un devoir de demeurer près d’eux et de leurs besoins. Après son élection, les gens lui demandaient comment ils devaient maintenant la nommer. Elle leur répondait : « Mon nom est Manon Cyr, donc vous continuez à m’appeler Manon. » Les habitants sont invités à exprimer leurs idées, leurs opinions, leurs désaccords et lorsque les commentaires sont justifiés, la mairesse sait acquiescer et s’ajuster. Par contre, quand sa décision est arrêtée — aussi controversée soit-elle —, elle est armée pour se défendre et pour bien expliquer ses choix à ses concitoyens.
Steeve Gamache, maire de Chapais, Reggie Neeposh, chef de la communauté d’Oujé-Bougoumou et Manon Cyr, mairesse de Chibougamau
Être une femme en politique
La mairesse affirme qu’elle sent « que les citoyennes sont fières » d’avoir une femme au pouvoir. Cependant, elle ne nie pas qu’il soit difficile pour les femmes de travailler en politique, surtout lorsqu’elles ont des jeunes enfants. Elle ajoute que « la fonction d’élue municipale n’est pas très glamour ». On doit fréquemment faire face à la désapprobation et c’est un aspect qui rebute particulièrement les femmes.
Les critiques affectent non seulement l’individu visé, mais aussi sa famille. Pour Madame Cyr, n’avoir ni enfant ni conjoint lui permet de ne pas ressentir le poids de cette responsabilité, de cette culpabilité. Car, les attaques personnelles, les remarques gratuites, sans fondement, et surtout les inévitables critiques sur l’apparence physique : on ne s’y habitue pas.
Pouvoir se référer à des modèles s’avère essentiel. Des exemples motivants qui renforcent la détermination pour aller de l’avant. Quels sont ceux auxquels s’identifie Madame Cyr? Deux femmes de pouvoir qui ont fait progresser leurs communautés respectives. D’abord, l’ancienne mairesse de Drummondville, Madame Francine Ruest-Jutras qui a été un atout indéniable dans le développement économique et entrepreneurial de sa municipalité et ensuite, feue Madame Andrée Boucher, ex-mairesse de la ville de Québec qui a su prioriser et redresser les finances de sa ville. Deux femmes qui se sont taillé une place de choix dans l’univers de la politique municipale, et ce, malgré leur représentation de genre minoritaire et en dépit des critiques. Avoir des modèles, c’est constater, aussi, qu’être une femme leader, c’est possible!
Encourager les femmes à se lancer en politique
Lorsqu’on lui pose l’épineuse question des quotas visant à assurer une parité hommes-femmes en politique, elle répond sans hésitation : « J’ai été élue démocratiquement. J’ai été élue pour mes connaissances, mon vécu […]. J’aurais été déçue d’être élue parce que je faisais partie d’un quota. » Selon elle, « il faut laisser faire la démocratie ».
Cependant, elle note l’importance de sensibiliser les femmes et de les encourager à se positionner comme leaders. À celles qui souhaitent se lancer en politique, elle suggère de bien cerner le « pourquoi » de leur démarche. De se demander, ce qu’elles peuvent apporter de nouveau et avant tout d’avoir confiance en elles et en leurs aptitudes.
Tout compte fait, la mairesse de Chibougamau représente le parfait exemple de la femme qui est parvenue à atteindre le sommet en dépit de son scepticisme. Trop de femmes doutent encore de leurs compétences et de leur leadership. Comment les persuader du contraire? En les aidant, entre autres, à prendre conscience de la valeur et de la richesse de leur réseau et en les incitant à accroître leur confiance en elles. Peut-être, alors, arriverons-nous à accéder à une certaine parité de genres dans les fonctions de pouvoir en politique.