Nous avons eu envie de rencontrer des mairesses en poste pour comprendre ce qui les a poussées à afficher cette ambition de vouloir donner les orientations à leur ville.
Dans cet article, nous vous présentons madame Suzanne Roy, mairesse de la ville de Sainte-Julie. Selon elle, l’échec n’est pas là où on l’imagine, et le réseau – qu’on croit souvent peu développé chez les femmes – ne demande en fait qu’à se déployer.
***
Quel est votre parcours scolaire et professionnel avant d’en arriver à la politique municipale?
J’ai étudié en sciences politiques, plus précisément en administration publique. J’ai travaillé à la Société Saint-Jean-Baptiste Richelieu-Yamaska durant 15 ans comme directrice générale. J’alliais tant le niveau politique que gestion.
La politique municipale est un accident de parcours. Je vivais à Sainte-Julie et, à un moment donné, j’ai eu un problème domestique. Je suis venue au conseil municipal pour y trouver une solution, mais on m’a alors indiqué que mon problème présentait peu d’intérêt. Devant ce manque de considération, j’ai décidé de me présenter comme conseillère. Le parcours était assez atypique, car je n’avais aucun parti, aucune équipe, et je faisais seule mon porte à porte.
J’avais choisi de promouvoir la proximité du conseiller municipal avec ses concitoyens. J’avais même mon thème, soit de faire de Sainte-Julie la ville de la famille. Je trouvais la machine municipale difficile à comprendre pour un citoyen. J’ai voulu rendre notre politique municipale plus accessible et cela a teinté toute mon approche des 20 dernières années.
Avez-vous douté de vos compétences lorsque vous avez posé votre candidature?
Pas lorsque j’ai posé ma candidature comme conseillère municipale. À ce moment-là, je n’avais pas l’ambition de vouloir gérer une ville. J’aspirais à être une conseillère capable d’écouter les concitoyens pour les accompagner. Je savais que j’en étais capable.
Par contre, lorsque mes collègues m’ont demandé d’occuper le poste de mairesse suppléante pour une durée indéterminée, alors oui je me suis questionnée. D’abord, juridiquement, le maire répond de toutes les décisions. Il est imputable au niveau de l’ingénierie, de la comptabilité, des communications. Heureusement, la période passée comme conseillère m’avais permis de mieux connaître tous les dossiers. Mais surtout, j’ai compris que lorsqu’on devient maire, on ne devient pas comptable, ingénieur ou urbaniste. On apprend à s’entourer des personnes compétentes et on utilise son gros bon sens .
On parle souvent de l’importance du réseau pour se lancer en politique et du fait que les femmes ne le développent pas suffisamment…
Les femmes ont des réseaux, mais elles n’en sont pas conscientes. Elles ont souvent tendance à penser aux réseaux traditionnels du boys’ club qui joue au golf.
Lorsque je me suis présentée comme conseillère municipale, mes enfants étaient en garderie. Je connaissais tous les parents. Je connaissais également tous mes voisins. Ce réseau, je l’avais, et les femmes l’ont également. Il est là de façon naturelle. C’est souvent qu’on ne le voit pas et qu’on n’ose surtout pas – pour les femmes, c’est particulièrement vrai – demander au voisin : « Viendrais-tu faire du porte à porte avec moi sur la rue où vit ton père? » On n’ose pas utiliser le réseau. Mais on a le réseau!
Beaucoup des personnes à qui j’ai demandé à l’époque de venir m’aider sont encore présents dans mon entourage aujourd’hui et ils sont contents d’être venus m’aider. Même si plusieurs d’entre eux trouvaient ma démarche insensée (je n’étais pas connue, je n’avais ni l’argent ni un parti), ils ont quand même voulu venir m’aider.
On me disait : « Tu te présentes contre deux partis qui ont de l’argent et une notoriété, tu ne gagneras jamais ». Je n’étais pas d’accord. Je croyais à mon approche de proximité. Je n’avais peut-être pas d’argent, mais j’avais deux pattes. Je suis allée cognée à toutes les portes de mon quartier, parfois même à cinq reprises pour finalement rencontrer les résidents.
Quand les gens vous disaient que vous n’aviez ni argent ni notoriété et que vous étiez seule, n’avez-vous pas eu peur de l’échec?
Ma mère m’a demandé « Pourquoi tu fais cela? Tout à coup que tu perds. » J’ai dit à ma mère qu’en ne me présentant pas, c’est sûr que je perdais. J’avais déjà cette vision à l’époque et je le dis encore aujourd’hui : « Tout ce qui peut arriver, c’est qu’on me dise “non” ».
C’est souvent ce que les femmes font. Par crainte qu’on leur dise « non », elles ne se présentent pas. Mais en ne se présentant pas, elles ont déjà perdu.
Par ailleurs, pour moi, quelqu’un qui perd une élection ne fait pas face à un échec. Il a simplement présenté ses idées. Les citoyens font ensuite leur choix.
À la prochaine élection, en 2017, nous allons présenter comme candidate dans notre équipe une personne qui était contre nous à l’époque, mais qui avait fait une superbe campagne. Je l’ai trouvée tellement compétente qu’au moment où un poste s’est libéré, je suis allée la chercher. Elle n’a pas gagné son élection, mais ce n’est pas un échec. Elle nous a démontré qu’elle était une femme de talent et aujourd’hui, on la veut avec nous.
Quelle est votre opinion sur l’application de quotas en politique?
Je suis contre. Regardons ce qui s’est passé là où il y a eu des quotas. En France, la parité a été atteinte par une politique de quotas, mais si on regarde toute la première tranche hiérarchique, les femmes sont quasi absentes. Le nombre y est, mais elles sont reléguées à des postes moins importants.
Et je ne voudrais donc jamais qu’on dise que j’ai été élue parce qu’il fallait atteindre un quota et non grâce à mes idées et à mes compétences.
Pourtant, quelle est la façon d’atteindre la parité, car oui, 17% de mairesses au Québec, c’est extrêmement bas? Peut-être en rendant la politique plus humaine. Les femmes détestent les campagnes électorales. Dans mon conseil municipal, où il y a la parité hommes-femmes, les premiers ont hâte d’aller cogner aux portes, ce que les femmes détestent. Selon moi, elles sont mal à l’aise dans ce contexte de compétition. Les femmes veulent contribuer à la communauté, mais elles préfèrent s’il n’y a pas d’adversaire.
Moi-même, ce que j’aime en étant dans une plus petite ville, c’est la moins grande partisanerie, ce qui favorise une plus grande collaboration peu importe le parti sous lequel on s’est fait élire au départ.