Le Québec est l’une des sociétés les plus progressistes en matière d’égalité homme-femme. Depuis le début des années 1980, la moitié des diplômés universitaires sont des femmes. Pourtant, cela ne se traduit pas par une présence accrue de celles-ci dans les lieux de pouvoir.
« Sans égalité décisionnelle, l’égalité de fait reste pour moi un leurre » selon Élaine Hémond, la fondatrice du Groupe Femmes, Politique et Démocratie.
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Comment changer les statistiques? Sommes-nous condamnés à accepter le statu quo?
Habitudes et mentalités dépassées
Les femmes représentent 50% de la population. Leur faible présence dans les instances de pouvoir ne peut être qualifiée de juste équilibre. Bien que le droit promeuve l’égalité entre les hommes et les femmes, des attitudes, des habitudes et des mentalités d’une autre époque entretiennent cette injustice en niant le fait que les femmes assument toujours des responsabilités domestiques et parentales plus lourdes que celles des hommes, ce qui freine leur carrière ou peut même y mettre un terme.
Comment concilier travail et vie familiale, si le monde du travail s’obstine à valoriser un modèle de carrière linéaire et continue, à accorder une importance démesurée au travail à temps plein et sur les lieux du travail, et à assimiler la disponibilité absolue à la loyauté envers l’organisation?
De même, en politique, selon un avis du Conseil du statut de la femme : « l’organisation du travail des parlementaires a été pensée et mise en place par des hommes à une époque où il était possible pour eux de se dégager entièrement des tâches à la maison pour se consacrer pleinement à leurs responsabilités publiques ».
Les mal-aimés quotas
Pour augmenter le nombre de femmes dans les lieux de pouvoir, l’une des solutions demeure d’établir des quotas. On vise ainsi à obtenir un pourcentage minimal de femmes dans les postes de pouvoir, pour, ultimement, atteindre la parité, à savoir la participation à peu près égale des hommes et des femmes (dans une proportion de 40 à 60%).
Mesure de discrimination positive, l’établissement de quotas est un instrument de changement qui conduit à la parité , en favorisant le recrutement, la sélection ou la nomination de femmes et en permettant ainsi à des femmes de devenir des modèles aux yeux de celles qui hésitent encore à s’engager en politique ou à poser leur candidature à des postes de haute direction.
La représentation en politique
Sur le plan politique, les quotas permettent, sinon d’atteindre, du moins de se rapprocher d’une représentation reflétant la société. Les femmes constituant 50% de la population, les quotas rétablissent donc la justice, contribuent à la légitimité des institutions et incitent les femmes à s’engager politiquement. Par ailleurs, il existe un lien entre un certain nombre de femmes élues (entre 30 et 40%) et la capacité de celles-ci à travailler en faveur des intérêts des femmes. Bref, le genre, féminin en l’occurrence, apparaît comme une catégorie sociale nécessitant une représentation politique adéquate.
Pourtant, encore en août dernier, les membres de la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec se sont opposés à une proposition incitant leur parti à « présenter entre 40% et 60% de candidatures féminines à chaque élection », en invoquant l’argument le plus ressassé, à savoir que la compétence doit passer avant la parité. Les opposants aux quotas, parfois des femmes susceptibles de bénéficier de ceux-ci, considèrent l’établissement de quotas comme une forme de favoritisme, qui fait fi de la compétence et du mérite.
Or, « les candidats sont recrutés selon les critères traditionnels de réseautage, de moyens financiers et de contacts. En résumé, les hommes se choisissent entre eux. La méritocratie n’est pas le seul critère de recrutement. D’une certaine façon, on peut affirmer que, par défaut, les hommes bénéficient déjà de quotas », soutient Pascale Navarro dans son plus récent essai Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité.
Dans le domaine des affaires
Dans les conseils d’administration des entreprises, la présence accrue des femmes favorise la diversité des points de vue et conduit donc à la prise de meilleures décisions. Par ailleurs, considérant que les femmes décident de la plupart des achats pour le couple et la famille, leur présence au sein d’un conseil d’administration permet à l’entreprise de mieux connaître sa clientèle, ce qui constitue un avantage sans contredit en termes de ventes.
L’établissement de quotas permet d’augmenter la productivité ou le nombre de travailleurs. C’est à tout le moins ce que soutient Monique Jérôme-Forget dans son essai Les femmes au secours de l’économie. Pour en finir avec le plafond de verre : « […] mieux exploiter le potentiel de la main-d’œuvre féminine constitue un atout indéniable pour assurer le développement du Québec. D’après moi, il serait mathématiquement avantageux de tout mettre en œuvre pour retenir les femmes sur le marché du travail […]. »
L’instauration de quotas nous force à remettre en question les critères de recrutement et les modes de fonctionnement des lieux de pouvoir et de travail. « Le mérite principal du quota, en tant qu’exercice à contrainte, c’est qu’il challenge les façons de voir et de faire » (« Des quotas, pourquoi? (Et pourquoi pas?) »).
Des exemples à suivre?
Des pays comme le Portugal, la Belgique, l’Argentine et le Costa Rica ont instauré des quotas obligatoires qui ont élevé très rapidement le nombre de femmes élues. Par contre, pour ne citer qu’un exemple, en Espagne, l’établissement d’une telle mesure n’a eu aucun impact significatif sur la représentation politique des femmes. Par ailleurs, en Slovénie, les effets ne sont apparus qu’à long terme.
Dans d’autres pays, tels la Suède, l’Allemagne et le Royaume-Uni, les partis politiques ont instauré volontairement des quotas qui ont été efficaces, alors qu’au Danemark, de tels quotas n’ont eu que peu ou pas d’effets.
Au Québec, la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, adoptée en décembre 2006, a fait l’économie de la mesure provisoire qu’est l’établissement de quotas, en imposant la parité dans les conseils d’administration des sociétés d’État.
Il est difficile d’évaluer l’efficacité des quotas, car, d’une part, ceux-ci sont établis dans des cultures et des pays différents. D’autre part, tout dépend du type de quota choisi, de l’existence ou non de sanctions en cas de non-respect et, le cas échéant, de la sévérité de celles-ci. Enfin et surtout, les quotas permettront d’augmenter le nombre de femmes dans les lieux de pouvoir que s’ils traduisent un engagement et une réelle volonté des acteurs concernés.
Les quotas constituent une discrimination fondée sur le sexe, discrimination contre laquelle les femmes se sont toujours insurgées. Or, une fois les quotas adoptés, les préjugés négatifs qu’on a à leur égard ont tendance à s’estomper. Si le fait d’être une femme est source d’inégalités, il faut le prendre en compte tant et aussi longtemps que ces inégalités persisteront. Après seulement, on pourra oublier la différence sexuelle.