Femmes inspirantes

Jeunes, femmes et productrices

20 octobre 2016
Rédaction: Claire-Marine Beha

Gala du Cinéma Québécois pour STAR, de gauche à droite : Sarah Mannering, Emilie Mannering, Fanny Drew et Geneviève Dulude-De Celles

Créée en 2014 avec « peu d’argent mais beaucoup d’amour », la compagnie de production montréalaise Colonelle films est menée par trois femmes trentenaires : Geneviève Dulude-De Celles, Fanny Drew et Sarah Mannering. Conscientes des disparités entre les sexes au sein du cinéma québécois dans son ensemble, ces trois jeunes productrices pensent cependant que la nouvelle génération de cinéastes se veut porteuse d’un nouveau souffle.

« Il y a quelque chose qui bouge au Québec, pense Sarah. Apparemment pour la télévision c’est toujours aussi complexe, mais pour la production en cinéma, beaucoup de femmes très fortes mènent des projets et font parler d’elles. »

En effet, au même titre que Colonelle, une bonne poignée de jeunes compagnies de production québécoises sont aujourd’hui dirigées par des femmes de la même génération. « Il y encore des boites dirigées par des gars, mais tous les producteurs que je pourrais te nommer sont des femmes, déclare-t-elle. J’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus. » Toutes les trois citent notamment leurs consœurs de Leona films, La Boîte à Fanny ou encore Voyelles Films.

« Il y en a de la relève, du monde qui produit des films de qualité, notent-elles. Beaucoup de leurs projets partent à Cannes ou dans des festivals internationaux et prestigieux et cela nous donne espoir. »

Colonelle produit présentement des courts-métrages de fiction, des vidéoclips, des publicités mais aussi des longs métrages documentaires (dont Bienvenue à F.L. de Geneviève Dulude-De Celles et Fucké de Simon Gaudreau). Le 30 juin dernier, les trois productrices annonçaient sur leur page Facebook le financement de Téléfilm Canada pour leur premier long métrage de fiction Une Colonie réalisé par l’une des trois « Colonelles », Geneviève Dulude-De Celles.

Et c’est justement le long métrage de fiction qui demeure le nerf de la guerre au Québec, comme partout ailleurs, avec seulement 14% environ de femmes à la réalisation.

« C’est sûr que les chiffres font peur », note l’une d’elles. Mais les trois femmes expliquent que dans leur milieu (le cinéma d’auteur et le cinéma indépendant), elles ont reçu des retours très positifs, et surtout, qu’elles refusent d’obéir aux statistiques. « Nous sommes dans notre petite bulle présentement même si nous restons lucides, exprime l’équipe. Nous allons continuer à aller de l’avant et si on souhaite faire du long métrage de fiction plus commercial, on ne se dira jamais que puisque nous sommes des femmes, nous devons faire uniquement du cinéma d’auteur ou des courts-métrages! »

Entrepreneures du cinéma

Avoir créé leur propre entreprise apporte beaucoup d’autonomie aux trois productrices, tant dans leurs choix créatifs que pour l’aménagement de leurs vies personnelles. C’est d’ailleurs son bébé dans les bras que Fanny nous a accueillis pour l’entrevue dans leurs nouveaux locaux.

Mais la création de Colonelle a relevé davantage de la nécessité plutôt que du choix de carrière, dans un premier temps. « Colonelle s’est constituée très naturellement, nous voulions faire du cinéma et être complètement indépendantes , se rappelle Geneviève. Nous savions alors qu’il nous faudrait des producteurs et nous en sommes venues à la conclusion que nous allions le faire nous-mêmes! »

Les trois productrices travaillent ensemble sur divers projets depuis 2012, mais c’est en janvier 2014 qu’elles quittent leurs emplois respectifs afin de lancer Colonelle films en bonne et due forme. « On ne s’imaginait pas nécessairement partir carrément une compagnie au départ », rapportent les deux diplômées en cinéma de l’UQÀM, Sarah et Geneviève. Tandis que Fanny, issue du monde entrepreneuriale et diplômée d’HEC Montréal, souhaitait réellement lier sa passion et son objectif : avoir son entreprise et œuvrer dans le septième art.

Tournage de THE CATCH avec plusieurs filles sur le plateau! / Photo : Danny Taillon

Une réalité en mutation

Les trois productrices indépendantes ont déjà fait face à quelques commentaires incommodants. « De la part d’hommes plus âgés, précise Geneviève. On peut sentir qu’ils ne nous prennent pas totalement au sérieux, ils nous trouvent cute. »

Si elles expriment se sentir à l’aise au Québec, elles ont ressenti des comportements paternalistes lors du festival American Film Institute (AFI) de Los Angeles. « Nous n’avons jamais vécu d’exemple flagrant de discrimination mais j’ai l’impression que si nous avions été trois hommes de 30 ans, nous aurions eu plus de crédibilité , rapporte Geneviève. On ne sait pas trop si c’est parce que nous sommes des femmes ou bien parce que nous sommes jeunes à vrai dire. » Fanny ajoute : « Un homme a quand même pensé que nous n’étions pas réellement les productrices de Geneviève, que c’était une blague. »

Mais de la part des hommes de leur génération, Colonelle films est très soutenue. « Les hommes avec qui l’on travaille trouvent ça génial que nous soyons trois femmes productrices et ils nous le rappellent souvent », rapporte Fanny.

Selon elles, si les femmes des générations antérieures se sont heurtées à de nombreux plafonds de verre, aujourd’hui, il y a de moins en moins de dissonance entre hommes et femmes cinéastes chez la jeune génération. Elles expliquent d’ailleurs ne pas vouloir réfléchir aux projets qu’elles produisent en terme de genre. « On ne fait pas du profilage et on ne veut pas être genré, rapporte Geneviève. Lorsqu’on choisit un projet, c’est parce qu’il y a de la qualité, que ce soit une réalisatrice ou un réalisateur ».

Sensibles à l’image des femmes à l’écran, les productrices se sentent libres de discuter du contenu avec les scénaristes et réalisateurs avec qui elles travaillent étroitement. « S’il y a des stéréotypes genrés, nous ne nous trahirons pas, nous en parlerons avec l’équipe » relèvent-elles. Enfin, et avant toute chose, Colonelle souhaite laisser place à « des sensibilités différentes ».

Un renouveau semble naître dans la dynamique professionnelle des jeunes générations, allant de pair avec une ouverture d’esprit croissante et un sexisme de moins en moins fréquent. Les trois « Colonelles » soulignent également que le métier de producteur-trice en tant que tel a également beaucoup évolué ces dernières années, ce qui favorise une coopération entre les professionnels du milieu.

À présent, la production en cinéma est à la collaboration et ne suit plus une logique de hiérarchie stricte. « Le méchant producteur tout seul qui a les droits du film, c’est terminé », illustre Geneviève. C’est dans cet esprit neuf que Colonelle estime privilégier la cohésion et le respect de la vision des auteurs au-delà des sexes.