Femmes en finances

Un écart de trop

11 août 2016
Rédaction: Jonathan Duchesne

Pour plusieurs, le débat est clos. Les femmes sont égales aux hommes. Point final. Pour d’autres, le constat s’avère bien différent.

C’est le cas d’Alexandre Bédard, jeune économiste et lauréat du Prix du meilleur mémoire 2015 à la Maîtrise ès sciences en gestion de HEC Montréal. Empreint d’actualité, son étude porte sur l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans l’industrie financière américaine depuis les années 1980.

Et le bilan n’est pas reluisant : « Depuis le début des années 1990, les femmes n’ont fait pratiquement aucun gain dans ce domaine aux Etats-Unis ». Le mémoire d’Alexandre démontre que les femmes ont en moyenne des salaires inférieurs à ceux des hommes, et ce, pour un profil d’individu similaire (expérience de travail, niveau d’éducation, etc.). Ces écarts deviennent également plus importants à mesure que l’on grimpe dans l’échelle salariale. La gente féminine est moins bien représentée dans les postes clés en gestion ou ceux plus directement reliés aux activités financières.

Absurde, direz-vous? Pourtant vrai. Beaucoup d’individus, souvent convaincus que l’égalité et la parité salariale sont atteintes, ne prennent pas conscience de cette injustice sur le marché du travail.

Le difficile défi de la négociation

Le travail d’Alexandre est intéressant sous plusieurs angles. En approfondissant la question de l’écart des salaires, on comprend mieux le pourquoi. Dès le départ, les femmes ont tendance à moins négocier que les hommes. D’ailleurs, quelques études recensées dans l’article Nice girls don’t ask, paru dans le Harvard Business Review et coécrit par quatre expertes dans le domaine, le confirment. L’une d’elles se penche sur le parcours des finissants de Carnegie Mellon détenant un MBA. Le constat est clair. La majorité des femmes acceptent le salaire initial sans négocier (seulement 7% le feront). Tandis que 57% des hommes demanderont plus au moment de l’embauche.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce comportement moins revendicateur des femmes. Par l’entremise de l’école, elles adoptent une attitude conciliante et altruiste tôt dans leur vie. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais lorsque vient le temps de penser à leurs intérêts propres, elles ont beaucoup plus de difficultés. L’art de négocier semble alors leur échapper. Ainsi, les femmes n’oseront pas aborder la question du salaire et se contenteront de ce que veut bien offrir le patron.

De plus, les entreprises hautement compétitives poussent leurs employés à adopter des comportements déterminés puisque la rémunération est souvent reliée à la performance. Alors que les hommes, généralement plus à l’aise avec la compétition, obtiennent les meilleurs contrats, les femmes quant à elles, sont moins attirées par cette façon de faire. Souvent, elles cherchent davantage un équilibre entre la famille et le travail qu’un meilleur salaire, mais ce choix les pénalise. Par conséquent, les femmes ne réussissent pas à monter dans l’échelle salariale, du moins, pas aussi rapidement que les hommes.

Un parcours semé d’embuches

D’autres embuches guettent les femmes tout au long de leur parcours professionnel en finances.

La maternité demeure un enjeu important dans la façon de rémunérer les femmes. En fait, l’ennui c’est qu’elles perdent une année dans l’échelle salariale si jamais elles ont le « bonheur » d’être enceinte. Aberrant vous dites? C’est pourtant bien la réalité.

Également, une étude importante parue en 2012 par la professeure Janice Fanning Madden de la University of Pennsylvania, met en lumière un traitement discriminatoire envers des femmes œuvrant dans deux des plus importantes maisons de courtage commercial aux États-Unis vers la fin des années 1990. Les courtières de ces firmes auraient été affectées à des comptes inférieurs à ceux des hommes, réduisant ainsi leurs commissions, souvent leur seule forme de compensation. L’auteure démontre qu’il n’existe pourtant aucune différence dans la capacité des femmes à générer des volumes de ventes par rapport à leurs confrères. Ces deux firmes ont d’ailleurs fait l’objet de poursuites de la part des courtières en question, poursuites qui ont été conclues hors cour et dont les médias ont qualifié les termes d’ententes favorables aux plaignantes.

Autant de facteurs qui expliquent un écart qui persiste depuis des années. Mais si les causes sont connues, peut-on en dire autant des solutions?

La volonté nécessaire pour changer les mœurs

En entrevue, Alexandre propose des pistes de solution concrètes.

Premièrement, les entreprises doivent s’ajuster et donner l’exemple. Un plus grand nombre de femmes dans les conseils d’administration inciteront les entreprises à se soucier de parité et d’égalité salariale.

Deuxièmement, pourquoi ne pas établir des règles claires en ce qui a trait à la négociation du salaire au sein des entreprises . En effet, dès qu’il existe une politique explicite sur les augmentations salariales, les femmes se sentent déjà mieux outillées pour amorcer une négociation. Il semblerait que le flou entourant la hausse des salaires désavantage particulièrement la gente féminine.

Pour rétablir le balancier, les employeurs doivent prendre la responsabilité d’encourager les femmes à négocier davantage. Ils doivent donner l’exemple pour assurer qu’une politique d’équité salariale devienne la norme au sein des entreprises. Comme mentionné dans l’article du Harvard Business Review, ce n’est pas parce qu’un homme demande une augmentation salariale, ou un poste supérieur, qu’il la mérite. C’est qu’il ose, contrairement à la femme.

Un défi d’éducation

L’employeur doit prendre conscience des comportements différents hommes/femmes en ce qui a trait à la négociation et agir en conséquence. De plus, Alexandre mentionne « qu’il y a des bénéfices économiques à mieux renseigner les femmes ». Si l’employeur leur explique les bienfaits de la négociation, cela les encouragera certainement à prendre plus au sérieux cet aspect de leurs carrières. Lorsque tous les employés, peu importe le sexe, auront droit aux mêmes traitements sans ambiguïté et partiront avec les mêmes règles, un pas de géant aura été accompli.

Pour Alexandre, éduquer les jeunes femmes dès leur entrée à l’université est aussi primordial « puisque les étudiantes semblent peu conscientes de l’ampleur des écarts salariaux entre les sexes ». Ainsi, une plus grande sensibilisation sur les réalités du marché du travail s’avère nécessaire. L’importance de sensibiliser les étudiantes (et également les étudiants) à cette problématique dans tous les domaines où elles sont en minorité semble une avenue intéressante. Après tout, « les disparités salariales envoient un mauvais signal aux générations futures de travailleuses puisqu’ils découragent la venue et la rétention de femmes talentueuses dans les secteurs d’emploi où les écarts sont plus importants », rappelle Alexandre.

Des solutions prometteuses

Parmi les nombreuses pistes explorées pour réduire l’écart salarial, le Fair Pay Act, nouvelle loi adoptée en Californie et en vigueur depuis janvier 2016, requière des employeurs de justifier toute disparité salariale entre les femmes et les hommes faisant un travail sensiblement similaire, indépendamment du titre et de l’établissement d’emploi opéré par l’employeur. Cette nouvelle loi, considérée comme l’une des plus strictes en matière d’équité salariale aux États-Unis, permet également aux employés de discuter ouvertement des salaires versés à leurs collègues, tout en étant protégés contre les représailles de l’employeur.

D’autres solutions tel l’affichage des salaires, adopté dans le secteur public, intéresse certaines entreprises privées.

Dans une entrevue accordée au Business Insider, le président de la chaîne d’alimentation américaine Whole Foods Market a déclaré que la performance de ses travailleurs s’est accrue depuis la mise en place de cette politique. Une saine compétition s’est installée parmi les employés alors qu’ils discutent ouvertement de leurs salaires et des moyens d’améliorer leur rendement.

D’autres y vont de solutions plus radicales. Ellen Pao, PDG par intérim du réseau social Reddit, a aboli les négociations salariales lors de l’embauche pour ne pas pénaliser les femmes. De cette manière, ce sont les compétences reliées à l’emploi qui sont prises en compte et non le talent de négociateur.

Bien entendu, de telles solutions peuvent engendrer d’autres problèmes, notamment celui pour l’entreprise de se priver de candidats prometteurs par l’adoption d’une politique rigide de non-négociation. Proposer de telles avenues a toutefois le mérite de reconnaître que les écarts salariaux posent une réelle problématique et que l’entreprise se doit d’enrayer toute discrimination salariale.

Une question de justice sociale

Malgré la persistance de mœurs dévalorisant les femmes, la génération Y souffle un vent d’optimisme.

D’une part, au Québec, le système de garderie fait l’envie de plusieurs puisqu’il a permis une présence accrue de femmes sur le marché du travail. À long terme, Alexandre mentionne « qu’elles obtiendront des postes de direction et provoqueront, fort probablement, des changements de mentalités dans les plus hautes sphères de la société ».

D’autre part, l’omniprésence des médias sociaux fait en sorte que les injustices sont décriées plus facilement et aident à cerner les comportements archaïques de certains dirigeants.

Mais tout compte fait, dans plusieurs domaines, beaucoup de travail reste à faire en vue d’atteindre une équité salariale. Comme le souligne Alexandre, c’est avant tout une question de justice sociale. Les mentalités devront continuer de changer non seulement au sein des entreprises, mais aussi parmi les établissements d’enseignement qui ont la tâche de préparer les jeunes aux défis actuels.

Ce n’est pas parce que certaines femmes s’en tirent mieux que d’autres que tout est parfait dans le meilleur des mondes. En surface, les données plus générales (nombre de femmes à l’université, à l’emploi, etc.) laissent paraître une égalité sociale, mais les études comme celle d’Alexandre démontrent une réalité préoccupante, pour tous.