Modèles de réussite

Leader dans la vie, mais pas à l’écran

11 août 2016
Rédaction: Claire-Marine Beha

Moins de femmes cinéastes se traduit bien souvent à l’écran par des rôles féminins plus stéréotypés lorsqu’ils ne sont pas tout simplement absents. Les images influencent, et le cinéma est imaginé, créé et sublimé par les réalisateurs. Derrière la création des personnages, se cachent les cinéastes qui en dessinent les contours.

Au Québec, les réalisatrices de longs métrages de fiction demeurent en large minorité (environ 14%) et la conséquence directe de cette carence demeure probablement la représentation souvent déplorable des femmes à l’écran. La culture populaire entraîne ainsi directement les jeunes filles et les femmes à douter de leur possibilité à être des leaders – ou autre chose qu’un objet sexuel – puisque le cinéma ne leur renvoi presque jamais cette capacité.

« Le cinéma est le lieu du réel et de la vie » affirmait le défunt cinéaste français Patrice Chéreau. Cependant, selon l’Institut américain Geena Davis sur l’étude des genres dans les médias, parmi les films sélectionnés aux Oscars entre 2007 et 2010, seulement 33% des personnages parlants sont des femmes . Les chercheures ont également noté une omniprésence de l’aspect sexuellement attrayant chez ces personnages féminins sous-représentés. À titre comparatif, lorsque les scénaristes de ces films étaient des hommes, 26% de leurs personnages étaient des femmes, mais lorsqu’on était en présence de scénaristes femmes, le nombre de personnages féminins augmentait pour passer à 36%. Néanmoins, il existe toujours bien plus de héros que d’héroïnes, peu importe le sexe du réalisateur.

Loin d’Hollywood et d’une « pipolisation » poussée à son paroxysme, la sociologue Anna Lupien et le collectif montréalais Réalisatrices Équitables (RÉ) se sont inspirées de l’analyse américaine afin de mener leur propre enquête au sein de l’industrie cinématographique du Québec. L’enquête L’avant et l’arrière de l’écran, publiée en 2013, démarrait avec le constat des recherches de l’Institut Geena Davis : « Ces recherches […] confirment que la sous-représentation des femmes à l’écran et la présence de personnages féminins stéréotypés tendent à diminuer lorsque la proportion de femmes derrière la caméra – réalisatrices, scénaristes, productrices – augmente. »

Leur étude comparative s’est ainsi portée sur les longs métrages de fiction québécois réalisés en 2011 pour les hommes (soit 28 films) et ceux de 2010 et 2011 pour les femmes (12 films) compte tenu du déséquilibre notable entre les sexes dans le milieu de la réalisation.

Héros, héroïnes et sexualisation

Il en est ressorti, sans grande surprise, que les premiers rôles sont plus souvent accordés à des femmes lorsqu’il y a une réalisatrice aux commandes (62%), que lorsqu’il y a un réalisateur (28%). Par contre, lorsqu’il est question des quatre premiers rôles, les femmes présentent des proportions plus équitables des genres dans leurs films. « Les réalisatrices présentent des distributions plus équilibrées puisqu’elles attribuent aux femmes 62% des premiers rôles […] tout en mettant les hommes en avant-plan au deuxième et troisième rôle dans 70% des cas », rapporte la sociologue. Pour les réalisateurs, les quatre premiers rôles sont distribués dans 70% des cas à des hommes.

Mais déceler le « men’s club » ne présente qu’une infime partie de l’analyse de RÉ. La sexualisation des personnages féminins demeure, bien que moins présente qu’à Hollywood, une problématique récurrente. Les hommes mettent en scène des personnages féminins correspondant à un certain idéal physique 8 fois sur 10, contre 6 fois sur 10 chez les réalisatrices. « Nous avons jugé que les personnages féminins correspondaient aux normes de beauté dominantes si les actrices avaient un poids proportionnel à leur taille, la taille fine, des traits fins qui ne sortent pas de l’ordinaire, aucune acné ou trace d’acné et une pilosité contrôlée », rapporte Anna Lupien.

La nudité et les rapports sexuels ne sont pas plus cachés par les réalisatrices. En dehors des scènes de sexualité et d’intimité, les hommes montrent en revanche trois fois plus de femmes nues dans leurs films. L’étude tient à préciser qu’elle ne réclame aucunement « un cinéma chaste et prude » et ne fait pas la chasse aux tenues d’Ève et d’Adam, mais souhaite évaluer la proportion de sexualisation effectuée par les cinéastes.

En effet, cette sexualisation des personnages féminins passe surtout par un choix vestimentaire sexy, affriolant, voire parfois vulgaire (abus de talons hauts, décolletés, vêtements moulants et courts), qui connote alors très vivement des signes de disponibilité sexuelle et relègue la femme à l’état d’objet sexuel pour l’homme. De plus, les personnages féminins voient leur sexualisation accentuée par l’abus d’attitudes aguichantes à l’écran. Au cinéma américain, les personnages féminins sont ainsi quatre fois plus enclins à avoir une attitude jugée sexuellement explicite que les personnages masculins. Le constat demeure relativement le même au Québec.

Stéréotypes professionnels

Un autre cliché tenace réside dans les professions occupées par des femmes qui demeurent très stéréotypées dans les films des réalisateurs. Selon l’étude d’Anna Lupien, un personnage féminin sur cinq œuvre dans le service à la clientèle et le secrétariat, 15% sont enseignantes, et une femme sur dix est destinée à la prostitution, au massage érotique ou au strip-tease. « Il y a lieu de se demander pourquoi les réalisateurs recourent autant à cette incarnation cinématographique suprême de l’objectification des femmes », se questionne la sociologue.

Malgré la présence de films d’auteurs et d’œuvres ne flirtant pas avec les stéréotypes, le cinéma québécois se dirige vers une standardisation à l’américaine qui privilégie la rentabilité et dont l’homme reste le principal héros de l’histoire. Réalité faussée ou fidèle représentation de la marginalisation des femmes? « J’aurai plutôt envie de dire qu’il s’agit d’un milieu profondément normatif et que la norme privilégie les hommes blancs et hétérosexuels », indique Joëlle Rouleau, professeure de cinéma à l’Université de Montréal. « Mais le monde du cinéma est aussi sexiste que le monde professionnel en général. »

Bien qu’il soit en effet compliqué de rêver d’un monde fictionnel égalitaire lorsque les réalisatrices n’ont pas la parité et que les femmes n’obtiennent pas l’exacte égalité sociétale, le cinéma québécois semble s’appauvrir tout de même de la perception des réalisatrices et desserre la représentation des femmes. « La fiction a besoin d’un autre regard, d’une autre vision du monde, plus sensible, plus près de ce que je suis, et je ne la vois pas dans le cinéma d’aujourd’hui », déplore la cinéaste et professeure de montage à l’UQÀM, Louise Surprenant.

Des films de femmes

Un autre stéréotype qui colle à la peau des réalisatrices lorsqu’elles sont derrière la caméra réside dans le fait de proposer du « cinéma de femmes ». L’étude menée par Anna Lupien conclut que « les réalisatrices voient souvent leur travail catégorisé à la hâte sous le vocable “film de femmes” . Une appellation fréquemment chargée de connotations négatives. »

Difficile de définir ce qu’est « un film de femmes », mais plusieurs réalisatrices questionnées par RÉ lors de son étude Encore Pionnières en 2011, témoignaient qu’au sein dans cette industrie dominée en majorité par des héros masculins, « mettre en scène des femmes dans les rôles principaux constitue un bouleversement des codes dominants du cinéma ». Les réalisatrices demandent aujourd’hui à être vues et entendues.

La relève souhaite alors un changement de ces mentalités. « J’aime beaucoup briser les tabous et les clichés », confie Anabelle Lavoie, jeune cinéaste. « Bien que mes derniers courts métrages de fiction avaient un casting majoritairement masculin, je les présentais souvent de manière plus vulnérables, et où les femmes étaient en situation de pouvoir. »

Peu de diversité

Le cinéma québécois, qui ne fait pas figure d’exception, continue de présenter des femmes jeunes, jolies et « servant de faire valoir aux personnages masculins », selon l’organisation RÉ. Afin que les Québécoises « se retrouvent » davantage dans les personnages de femmes, il s’agirait de dépasser la norme de l’homme blanc puissant attiré par la femme ingénue, belle et de moins de 30 ans. « À mon avis, les films doivent représenter la société, donc on devrait retrouver autant de personnages féminins que masculins, mais il n’y a pas seulement que le genre, ça prendrait aussi plus de cultures (asiatiques, noires, premières Nations, etc.) ainsi que différentes générations (personnes plus âgées, enfants) », ajoute Anabelle Lavoie.

Les actrices déclarent également de leur côté en avoir assez de jouer les mêmes types de rôles. La Comédienne d’Amérique, un court métrage réalisé par la cinéaste québécoise Christine Chevarie il y a trois ans, illustre d’ailleurs les problématiques d’âgisme, d’hyper-sexualisation et de stéréotypisation chez les personnages féminins. Pour reprendre les propos du court métrage :

Dans la vie, oui les femmes ouvrent les jambes, plient du linge et changent des couches. Mais elles voyagent, font du sport, travaillent, écrivent, créent, pensent, vivent des drames, et changent le monde! Mais surtout, les femmes, sont diverses, tout comme les comédiennes!

Tout compte fait, les femmes du cinéma souhaitent que l’on encourage les films estimés avec un potentiel commercial moins fort, mais qui bousculent les codes et proposent une vision de la vie plus fidèle à la réalité des femmes dans l’espace public.

L’expression « If you can see it, you can be it » (Institut Geena Davis) relate de cette envie de voir plus de personnages féminins cheffes d’entreprises, juges, scientifiques, économistes, leader sur les écrans afin de donner le pouvoir essentiel aux jeunes femmes de se bâtir une confiance et d’oser songer à être autre chose qu’une femme sexy ou une assistante bienveillante.